Hummus

HUMMUS

25′ – 2014
opéra 

Synopsis :

« Andreas revient de voyage d’un pays en guerre. Il est incapable d’exprimer ce qu’il a ressenti et de parler de la violence qu’il a pu rencontrer. Ses amis, les gens de sa communauté, insistent et le poussent loin dans ses retranchements. Se moquant de lui et devenant de plus en plus diaboliques, ils finissent par le transformer en meurtrier qui les éliminera l’un après l’autre.
Mais existaient-ils réellement ou bien ne sont-ils que ses propres fantômes et démons intérieurs ? »

Notes
Le « pays en guerre » évoque le massacre de Sabra et Chatila, perpétré en 1982 par des milices libanaises chrétiennes, sous contrôle de l’armée israélienne, dans les deux camps de réfugiés palestiniens.

Le texte, écrit en allemand par le compositeur, est un dialogue entre Andreas et sa mémoire, les fantômes d’une mémoire meurtrie d’autant plus obsédante qu’elle est devenue en partie inaccessible.

Andreas et les fantômes de sa mémoire : le dispositif de la pièce et sa disposition spatiale en découlent.

6 chanteurs forment un cercle qui enferme Andreas.

Les personnages, de protagonistes sont nommés : Adreas, Sarah, Suzanne, Truike, Daniel, Martin, et Guillermo.

Les didascalies figurent dans la partition et impulsent la dynamique dramaturgique. « Andreas tourne autour de lui même en regardant les chanteurs » ; « Andreas ne regarde pas Susanne. il est un peu angoissé comme ne voulant pas parler » ; « rires hystériques et un peu nasillards » ; « taper des pieds en marchant comme un soldat », etc.

Réquisitoire

La pièce commence par une question chuchotée par le groupe : « Qu’as-tu vu ? ». La réponse se déroule sous le signe de l’obsession : le hummus. La mémoire d’Andreas est confuse dans le hummus. Peu à peu, apparaissent, par intermittence, et de manière plus ou moins vague, quelques éclairs de lucidité en rapport avec ce qu’Andreas a vécu et vu lors de la guerre.

La musique rend l’espace sensible :

D’abord, on ne trouve guère un moyen musical pour exprimer l’enferment dans l’espace, aussi efficace que l’obsession de l’obstination : une répétition entêtée. C’est l’aspect formel prédominant dans la pièce. Dès le début, le groupe ne cesse de dérouler des motifs obstinément répétés : des motifs de deux-doubles et une-croche, ou bien de double-pointée-croche, ou simplement d’une note piquée répétée ; comme il peut s’agir, de manière un peu plus consistante, d’un rythme dansant, comme celui d’un aksak à 7/8.

L’expression de l’obsession par obstination se fait aussi par le biais du texte, comme, par exemple, quand la ronde des chanteurs s’empare de ce qu’Andreas venait de proférer et le répète de manière agaçante, comme une sorte d’écho qui se refuse de s’éloigner : il peut s’agir d’un ensemble de phrase, mais souvent de mots isolés « Hummus », « Kinder », comme il peut s’agir d’un seule syllabe que le groupe prolonge.

Le groupe des chanteurs en cercle peut, pour ainsi dire, agir en tant que corps uni – en homorythmie, voire en homophonie –, comme il peut agir de manière plus dynamique, circulaire et alternative. C’est le caractère intermittent voire imprévisible de la mémoire qui, le cas échéant, est rendue sensible. Ce sont des éclairs ou des harcèlements de mémoire qui tiraillent Andreas dans tous les sens. La forme en ronde prend ici toute sa signification de mouvement aussi dynamique que toujours si proche du centre. L’exemple le plus significatif à cet égard est celui, vers la fin, quand le groupe pose à Andreas cette question ironique et provocante « qu’as-tu vu », alors qu’il venait de dire qu’il était « pendant quatre jours dans un tonneau » ; la question se trouve alors éparpillée, en pointillé, entre le cercle des chanteurs : comme un sorte de titillement sarcastique (19’55).

Aussi, la pression de la ronde est d’une intensité variable. Tantôt elle croit, et alors l’étau se resserre autour d’Andreas, comme lorsque, en homorythmie, accelerando et crescendo, le groupe entonne des noms progressivement discernables en tant que tels, une mémoire qui devient d’autant plus accablante à mesure d’être lucide (16’04).

Tantôt, le groupe se retire, la mémoire s’éloigne : cela se fait par chuchotement, par des notes à hauteurs non précises (parlando ou sprechgesang…).

De même, afin de résister, il arrive à Andreas de hausser fortement la voix.

Mais il y a aussi d’autres moyens, moins « physiques », par lesquels la distance ou la proximité sont rendus sensibles. Il s’agit de certains moments où la mémoire élucide quelques images qui, tout d’un coup, font surgir une sorte de tendresse de la mémoire. C’est le cas où Andreas se souvient nommément de certains noms : Farid, Bassam, mais surtout Maryam (7’39). Alors, la musique invoque le maqām ṣabā, connu par son fort caractère introverti et lugubre, en même temps que la voix abandonne la cadence machinale de la répétition et devient plus lyrique, cantillatoire, éminemment vocale et intimiste, en somme. Dans un autre endroit, l’exaltation nostalgique est rendue par la voix de falsetto, de par son caractère, pour ainsi dire, aérien.

D’ailleurs, ce repli esthétique d’Andreas coïncide souvent avec le fait que le groupe, au même moment, se retire : soit dans le grave, de manière discrète, soit en émettant cette sonorité virtuelle que procure le sifflement (9’31), soit en se taisant tout à fait.

De même, quand Andreas se souvient de quand il s’est trouvé dans un tonneau pendant 4 jours, le groupe se retire dans le chuchotement ; il s’éloigne ainsi comme pour exprimer l’isolement d’Andreas dans le tonneau, sans pour autant desserrer l’étau de son enferment.

D’après Anis Fariji

 

effectif
2S/2°/T/B/B
7 petits podiums pour les chanteurs,
6 grosses caisses,
1 micro installé sous le podium d’Andreas,
1 système de diffusion et 1 réverbération pour transformer
le son des pieds d’Andreas en bombes extrêmement violentes, remplissant l’espace du concert.
7 sources de lumière en douche sur chacun des chanteurs

NOTE D’INTENTION

Ce projet proposé par Christine Fisher autour de la question de la Méditerranée a fait surgir un espace et un chemin complètement inattendus à un moment où mon langage tendait vers une forme d’abstraction de plus en plus prononcée. Les éléments qui constituent la pièce Hummus se sont imposés d’une manière évidente et pratiquement sans me laisser le choix de prendre tel chemin ou tel autre. Tout d’abord la thématique : le massacre de Sabra et Chatila à Beyrouth, perpétré par des milices chrétiennes (issues de ma famille communautaire) dans une zone qui était sous contrôle de l’armée israélienne en 1982, a resurgi d’une manière extrêmement violente. Longtemps cet événement abominable qui montre une fois de plus la sauvagerie dont l’homme est capable, m’a hanté. Longtemps ces images d’horreur m’ont habité silencieusement, sans dire un mot, comme un poison sournois qui s’infiltre d’année en année dans le corps et l’esprit. Ça devait bien surgir un jour d’une manière ou d’une autre. C’est fait avec Hummus. Pour quelle raison ? Seul l’inconscient le sait véritablement. Le conscient, lui, questionne. Est-ce la proximité entre l’histoire sombre de l’Allemagne du début du siècle dernier et celle du Liban ? La sauvagerie n’a pas d’identité propre ni de religion on le sait, et comme dit Einstein, ce qu’on apprend de l’Histoire c’est qu’on n’a jamais rien appris de l’Histoire. La langue allemande s’est imposée également d’une manière puissante. Il y a bien sûr l’amour que je porte à cette langue, mais est ce la seule raison ? Ce que m’a révélé l’écriture de cette pièce c’est que la langue allemande et la langue arabe ont une énergie commune ! Cela paraît étrange mais ce fait devient évident quand on réalise à quel point la langue allemande a pu épouser si naturellement une forme et une rythmique arabe que j’ai empruntée ici (toujours malgré moi) à celle de la tradition du zajal, joutes oratoires et poétiques qu’on trouve dans la montagne libanaise et dans différents pays arabes et de la Méditerranée. Vient ensuite la question du langage musical ; en plus de la forme du zajal qui est très rudimentaire de point de vue mélodique et musical vu qu’elle développe avant tout le génie de la poésie populaire, vient s’ajouter une forme de naïveté enfantine. Impossible de lutter contre elle durant tout le processus d’écriture. Est-ce un combat finalement gagné par l’adolescent que j’étais en septembre 1982 ? Tant d’autres questions qui restent sans véritable réponse compte tenu la place qu’a occupée l’inconscient dans l’élaboration de cette œuvre qui joue peut-être pour moi un rôle cathartique et libérateur.

Zad Moultaka

pour sept chanteurs
Texte : Zad Moultaka
Langue chantée : allemand

Création: 9 février 2014
Lieu: Festival Eclat, Theaterhaus T1, Stuttgart
Occasion : Concert “Mediterranean Voices”
œuvres vocales de 12 compositeurs méditerranéens
avec une installation vidéo de Daniel Kötter

24 et 25 mai 2014 Madrid, teatro de la zarzuela par les Neue VocalSolisten de Stuttgart
26 juillet 2014 Venise, Teatro Fondamenta Nuove par les Neue VocalSolisten de Stuttgart
5 novembre 2014 Festival des Musiques démesurées, Clermont-Ferrand par les Neue VocalSolisten de Stuttgart
26 mars 2015 De Bijloke Gent (Belgique) par les Neue VocalSolisten de Stuttgart
26 août 2015 San Sebastian (Espagne) par les Neue VocalSolisten de Stuttgart
30 mars 2016 Festival Irtijal, Beyrouth, Liban par les Neue VocalSolisten de Stuttgart
26 novembre 2016 pgnm Festival, Brême, Allemagne par les Neue VocalSolisten de Stuttgart

Commande: Neue VocalSolisten de Stuttgart

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