Regarde ici-bas

REGARDE ICI-BAS

18′ – 2016
pour chœur

Celui qui apprendra à voler
donnera à la terre un nom nouveau,
il l’appellera légère.
F. Nietzsche, Zarathoustra

Bach et Zad Moultaka ont la musique en commun mais aussi le souci spirituel et l’art de la joie. Une joie grave et profonde, ancrée dans une forme de pessimisme à l’endroit de la communauté humaine, naissant de la tension vers un dépassement et une compassion attendrie envers elle.

Zad Moutaka suit les psaumes choisis par Jean-Sébastien Bach, laudatifs, inspirés, porteurs d’espoir, comme autant d’élans vers le ciel. La musique, à l’inverse, va à l’encontre du sens des mots et sombre dans la lenteur, dans les graves , accomplit sa descente, sa chute, sur terre. La pièce est dédiée à Dieu , cette dédicace dit aussi la séparation : “adieu”.

Regarde ici-bas fait bien sûr écho au conflit qui règne actuellement au Moyen-Orient.

effectif
16 chanteurs 4S/4A/4T/4B

Langue chantée : phonèmes

Création: 22 novembre 2016
Lieu: MC2 Grenoble
par le chœur Spirito, Unisoni et Claudio Bettinelli, Nicole Corti, direction
co-commande de Spirito et de la MC2

1er décembre 2016 La Comédie de Clermont, par le chœur Spirito, direction Nicole Corti

19 novembre 2017  Théâtre de l’Archipel, Perpignan, par le chœur Spirito, direction Nicole Corti

© ŠamaŠ éditions musicales 2016

RESMUSICA

CRÉATIONS AU FESTIVAL AUJOURD’HUI MUSIQUES DE PERPIGNAN

Regarde ici-bas

Le lendemain, c’est le chœur Spirito de Nicole Corti qui investit la grande salle du Grenat pour un concert croisant les univers de Jean-Sébastien Bach et Zad Moultaka. Comme il l’a fait avec la musique d’Hildegarde von Bingen (Gemme) ou celle de Monteverdi (Combattimenti II), Zad Moultaka s’est rapproché de l’univers de Jean-Sébastien Bach dans Regarde ici-bas, en empruntant le texte de ses psaumes pour y faire entendre sa propre voi(e)x. Autour de cette création mondiale pour chœur mixte a cappella, deux pièces du compositeur franco-libanais répondent à deux motets du Cantor de Leipzig.

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S’il aime tisser des liens avec le passé, Zad Moultaka n’en affirme pas moins son engagement « ici-bas », face au conflit du Proche et du Moyen-Orient dont il dénonce dans toute sa création l’horreur et la violence. Dans Non, œuvre mixte qui débute le concert dans le noir, ce sont les impacts de balles et les explosions des bombes qui nous parviennent du seul haut-parleur placé à côté du set de percussions. Quant au percussionniste (Claudio Bettinelli), il apparaît face au public, tournant le dos à ses instruments qu’il percute en renversant le geste : position de résistance ou de prisonnier, dont on a entravé la liberté des bras qui vont, pour finir, s’agiter dans le vide. L’œuvre saisissante est écrite en hommage à Samir Kassir, un des leaders de la Révolution du Cèdre, assassiné en 2005. Œuvre mixte toujours et non moins revendicatrice, I had a dream superpose deux strates sonores : celle du support électroacoustique donnant à entendre le célèbre discours du révérend Martin Luther King, cinq ans avant son assassinat, et celle du chœur répercutant les plaintes des habitants de la Nouvelle-Orléans inondée en 2005. Claquant des doigts et tapant du pied, les chanteurs sont alors soutenus par la grosse caisse, instrument du rituel moultakien conférant à cet espace hétérophonique et tendu une force incantatoire. C’est une dimension qui s’entend dans le tutti final de Regarde ici-bas, sorte de « motet de terre » à seize voix donné en première mondiale. L’œuvre est chantée dans la langue du Cantor de Leipzig et sur les paroles d’une de ses Cantates mais s’éloigne radicalement de ses objectifs. Parce que Zad Moultaka détourne la prosodie, éloigne le sens, préférant la scansion et le jeu des rebonds (sa manière d’ornementation virtuose) sur les syllabes des mots avec lesquels il joue. Une façon bien à lui de louvoyer entre le sublime et le trivial et d’ancrer la parole divine dans le quotidien. La page chorale qui referme la partition n’en ramène pas moins à une verticalité fervente et célébrante.

Sous le geste économe et sensible de Nicole Corti, le chœur Spirito est exemplaire, par la qualité de ses voix et sa réactivité face à chaque configuration sonore. Les deux motets de Bach qu’ils chantent en alternance ne sauraient nous démentir. Le motet BWV 225, Singet dem Herrn ein neues Lied (Chantons au Seigneur une œuvre nouvelle), l’une des pages chorales les plus exigeantes du Cantor, est donnée par deux quatuors vocaux qui se font face, soutenus par l’orgue positif et deux basses d’archet. La vaillance des voix, l’énergie qui sourd de chaque pupitre et la clarté de l’articulation sidèrent. Certes un rien éprouvés par la création de Moultaka, ils terminent par le motet BWV 230 Lobet den Herrn (Louez le Seigneur) dans l’espace serein et lumineux d’une partition dont ils reprendront en bis le fougueux Alleluia.

Crédits photographiques : Serge Merlin © Théâtre de l’Archipel ; Zad Moultaka © Jean-Baptiste Millot

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