Zajal

ZAJAL

57′ – 2010
opéra

Le zajal est une forme de poésie populaire et de joute oratoire méditerranéenne qui existe depuis la nuit des temps. Pour le compositeur libanais Zad Moultaka, c’est un souvenir qui remonte aux soirées perdues de son enfance où cette forme poétique partagée se pratiquait dans les villages, à la montagne, retransmis très souvent à la télévision nationale.
Dans cet univers où les poètes rivalisent, chacun soutenu par son clan, c’est le talent, l’imagination, la virtuosité des protagonistes et l’enthousiasme du public qui désignent les vainqueurs. 
A partir de cette tradition toujours vivante et du récit passionnant d’une de ces soirées particulièrement mémorable, Zad Moultaka tisse la trame d’un opéra où langue et langages s’entrelacent dans un étrange jeu dramatique. Le livret raconte l’histoire au début du XXe siècle de Chahrour el-Wadi jeune homme parti à l’aventure depuis quelques années et qui revient, masqué, défier son père, créant un échange délicieusement dynamique et virtuose. C’est un Zajal moderne que propose le compositeur qui interroge la mémoire collective et pose la question de la relation entre tradition et modernité, réflexion sur les racines populaires, en même temps que sur la possibilité d’une forme d’opéra arabe.
Accessible, drôle, nostalgique, poétique, il s’agit aussi d’un hommage vibrant et moderne à la tradition du zajal….
Cet hommage est particulièrement manifeste au cours du 2e acte dans lequel l’apparition et la disparition des visages et des voix de Zaghloul el Damour , Khalil Rouzouk, Zein Sh’eyb entre autres témoignent de façon poignante de l’admiration que porte le compositeur à ces merveilleux poètes.
Zad Moultaka, croit ainsi lire dans la tradition vivante du zajal, une combinaison de multiples modes d’expressions et notamment une forme rassemblant poésie, musique, improvisation, scénographie et écriture. A l’état d’intuition pendant des années, cette idée fut confirmée par la lecture d’une anthologie du zajal “Le diwan du Chahrour”, publiée en 2000 par le fils du Charhour , Nabil el Feghali (éd.Joseph D. Raidy, 2000) Zad Moultaka utilise les textes en arabe dialectal dans leur richesse, leurs sonorités , leur rythmique interne, … C’est d’une façon toute acrobatique et virtuose que les deux protagonistes de l’opéra, l’extraordinaire comédien Gabriel Yammine et la sublime chanteuse Fadia Tomb el-Hage se livrent avec bonheur à cette joute et permettent la théâtralisation du zajal, lui donnent tout son sens dramatique et musical.

SYNOPSIS

L’histoire se passe au début du XXe siècle dans le petit village de Wadi Chahrour, dans la région de Baabda, riche en oliviers et en poètes et célèbre pour ses joutes oratoires. Le prêtre Louis el-Feghali, de son vrai nom Khalil Semaan, grand zajaliste reçoit un jour la visite d’un étrange personnage. Un jeune homme, le visage masqué, vient le défier. Le prêtre Louis, stupéfait par l’audace de l’étranger, accepte. Le village se rassemble, on dresse sur la grande place les tables pour la joute. Le public s’installe avec des verre d’arak et quelques mezzés. Les poètes montent sur une estrade. Dans un premier temps, le prêtre met le jeune homme à l’épreuve, lui donnant des contraintes rhétoriques de plus en plus ardues à assumer. Mais le jeune homme est virtuose, il s’en tire brillamment, et s’avère un grand parmi les grands. Il allie à la dextérité poétique une voix extraordinaire et force l’admiration générale. Nahfétak chahrouryyé (Tu galèges comme quelqu’un de Wadi Chahrour !!!) lui déclare le prêtre. Après un moment de repos la joute reprend, s’accentue, la tension monte, la foule est presque en transe. Le jeune homme va se découvrir. Il s’agit en vérité du fils du prêtre, parti il y a bien longtemps pour La Ville et disparu depuis. Assaad el-Khoury el-Féghali, obtiendra son « diplôme » de poète, et on répètera longtemps qu’il est celui qui a « ensorcelé les Arabes »…

opéra de chambre arabe
D’après la retranscription d’une joute entre Khalil el-Khoury el-Féghali et Assaad el-Khoury el-Féghali (dit le Chahrour)
Textes chantés et récités en arabe dialectal libanais – Sous-titrages en français

Création le 22 & 23 avril 2010 à Poitiers TAP scène nationale musique, scénographie et mise en scène Zad Moultaka
Livret “Le trésor caché”, retranscription d’une soirée de zajal, Liban 1909.
In Le diwan du Chahrour, texte établi par Nabil el Feghali, éd. Joseph D. Raidy, 2000
Fadia Tomb el-Hage, contralto
Gabriel Yammine, comédien
ars nova ensemble instrumental
saxophones : Joël Versavaud et Jacques Charles
cor : Patice Petitdidier
trompette : Fabrice Bourgerie
trombone : Patrice Hic
tuba : Philippe Legris
percussions : Isabelle Cornelis
Philippe Nahon : direction musicale

Conception vidéo et montage Zad Moultaka
Production Ars Nova ensemble instrumental
Coproduction TAP – Scène Nationale (Poitiers) / Gmem, centre national de création musicale / Art Moderne
Avec le soutien de Culturesfrance et de la Spedidam.

27 avril 2010 La Coursive, La Rochelle par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
30 avril 2010 Festival Les Musiques La Cartonnerie Friche La Belle de Mai, Marseille par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
28 mai 2010 Hippodrome de Douai, Place du Barlet, 59502 Douai par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
8 juin 2010 création libanaise. Festival Le Printemps de Beyrouth, Fondation Samir Kassir. Les Thermes de Beyrouth, Liban par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
21 juillet 2010 Festival International de Hammamet Tunisie par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
24 juillet 2010 Centre Culturel de Rencontres Fontevraud l’Abbaye par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
25 septembre 2010 Festival d’Ile de France Paris par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
12 novembre 2010 Festival du Monde Arabe de Montréal (Québec) par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
21 avril 2011 MC2, Festival Détours de Babel, Grenoble par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
9 mars 2012 Le Parvis de Tarbes par Fadia Tomb el Hage, contralto et par Ars Nova ensemble instrumental, direction Philippe Nahon et la participation du comédien Gabriel Yammine
23 janvier 2013 Festival Présences (projection)
24 mars 2013 Jade-La Citerne, Les Baux de Provence (projection)
31 mars 2015 Unesco, Paris (projection) pour l’entrée du zajal au Patrimoine mondial de l’Unesco
17 & 18 mars 2016 Colloque Université Paris 8 Saint-Denis, présentation de « Zajal » opéra arabe

Commande de l’Etat français et d’Ars Nova ensemble instrumental.
© ŠamaŠ 2010

credit photo : Arthur Péquin

Le zajal
De Zajila : chanter, fredonner, élever la voix, parler haut, jouer, s’amuser… et de Zajalon : qui désigne la poésie dialectale populaire mais aussi le jeu, la joie bruyante, le bruit, le vacarme… Le zajal est une forme de poésie populaire qui remonte à la nuit des temps, et en tout cas aux temps anté-islamiques. Tradition sociale et culturelle chez les bédouins des tribus de la péninsule arabe, au Liban il prend sa métrique dans l’ancienne langue syriaque, on lui attribue aussi une seconde naissance dans l’Andalousie du XIe siècle (on devrait son invention à Ibn Quzman, décédé en 1160 à Cordoue et surnommé le Prince du Zajal…). Forme de joute oratoire, poétique et musicale, issue peut-être de la tradition des mouwashas, elle s’est tournée vers les langues vernaculaires et s’est répandue dans tout le bassin méditerranéen. Elle ne survit de façon vivace aujourd’hui qu’en Egypte et au Liban.
Formes traditionnelles du zajal
Le “zajaliste” construit un quatrain, une forme rythmée. Il improvise, il répète sa phrase pour se donner le temps de construire la suite ; il y a ici une stricte soumission à des codes tacites qui fait monter la tension. Les auditeurs attendent la suite… et la chute : l’énonciation du défi. Lorsqu’il a fini, les percussionnistes (req, cymbalettes, bendirs) vont reprendre sa dernière phrase, sous une forme ici aussi très codée, transcrite. C’est la clôture de la parole du premier zajal. Le second poète prend alors la parole, et ainsi de suite… La prise de parole se fait toujours dans ces trois mouvements : matla ( envoi), dawr (tour), qufl (fermeture). Les thèmes sont simples, traitent des événements politiques ou historiques de la montagne, exhortent pour attaquer un ennemi, s’enivrent d’une victoire… Où il est question aussi de la joie amoureuse, de la peine, du deuil, des soucis de la vie quotidienne…


Le zajal opéra
Zad Moultaka, installé à Paris depuis le milieu des années 80, a emprunté le chemin de l’écriture musicale. Il tend toutes ses réflexions, voire ses obsessions, vers un lieu de rencontre, ou une synthèse improbables. Profondément enraciné dans le monde arabe et la culture occidentale, il cherche dans cette formule du zajal, si conviviale, si populaire (et si cultivée), une matière à explorer sur le plan de la forme et de l’écriture. Une forme opératique
Il croit lire dans la tradition vivante du zajal, une combinaison de multiples modes d’expressions et notamment une forme très archaïque de l’opéra rassemblant poésie, musique, improvisation, scénographie et écriture. Il y trouve également l’écho de diverses préoccupations contemporaines, que ce soit dans le rapport au texte – chez Berio, Aperghis, Leroux, Nono… -, que dans les formes musicales populaires actuelles telles que le rap ou le slam…
A l’état d’intuition pendant des années, cette idée fut confirmée par la lecture d’une anthologie du zajal, publiée en 2000. Les textes en arabe dialectal y sont élaborés par rapport à leur sonorité, à la dynamique et à la rythmique de la langue, par l’agencement des mots, les audaces syntaxiques, les choix lexicaux, les césures… Ces jeux n’occultent pas pour autant le sens. Il y a une manière toute acrobatique de composer et d’énoncer les poèmes, où la théâtralisation prend tout son sens dramatique et musical. D’où le projet de Zad Moultaka d’enrichir sa réflexion sur les langages, de travailler à partir de cette forme spécifique au caractère si puissant, d’explorer jusqu’où il est possible de l’amener à une expression contemporaine, tout en gardant la substance, le goût de la langue, l’ambiance, le dramaturgie primitive.


Opéra en 3 actes
• Le premier acte (20’)
Un personnage, le père, est à l’écran, face au public et ne le quitte jamais. Il attaque. La chanteuse et ses musiciens, figurant l’étranger et les villageois, lui répondent. C’est lui qui relance l’action dramaturgique. On le voit assis, fumant une cigarette, dans une attitude de provocation et d’indifférence. Présent et absent. Un effet de distanciation. A la fin de l’acte, le prêtre déclare une trêve car les poètes sont fatigués.
• Le deuxième acte (12’) laisse la place à une autre forme de lutte : des images surgissent, faites d’archives et de détails – percussions, mailloches, frottements – mais elles sont muettes. Comme si on était dans un espace double de mémoires ancienne et nouvelle. Comme un contrepoint hétérophonique entre passé et présent, réalités sonores et images sourdes. La polyrythmie de l’image répond à la polyrythmie sonore des musiciens. Travail sur la texture profonde du zajal. Mise en abîme entre différentes strates du passé combinées à la puissance onirique du réel. Le sommeil du village, comme un rêve collectif…
• Au dernier acte (25’), l’histoire reprend sur la place de Wadi Chahrour. C’est l’acte du dévoilement et de la reconnaissance du fils. L’image sur l’écran a disparu. La présence du père est signifiée par l’électroacoustique et les hauts parleurs. La joute prend une allure de fête hilarante et hypnotique. On est plongé dans l’ambiance folle du village. Alors que la nuit est tombée, on entre imperceptiblement dans le simulacre…
A noter une impertinence du compositeur : dans les cultures arabes et islamiques, les rôles féminins sont souvent confiés à des hommes. Ici le compositeur bouscule la norme et prend le parti de l’inversion. C’est une femme à la voix grave, profonde et limpide à la fois, qui incarnera le génial Chahrour, dont on dit que la voix était enchanteresse… De la même façon, le parti pris scénique d’« absenter » le père, de le faire exister sur un écran ou à travers une bande son est aussi un retournement qui permet au Charhour de jouter à découvert. Ici on montre ce qui est caché et on masque ce qui devrait être manifeste.


Perspectives
Cette dramatisation peut supporter plusieurs lectures : • intérêt historique et patrimonial du zajal, le beau temps des poètes ; • intérêt littéraire : la puissance d’évocation de la poésie populaire dialectale, l’art de la métrique arabe ; • intérêt musical – une réflexion sur la forme opératique au début du XXIe siècle… • Mais aussi une lecture affective et amusante, nostalgie d’un temps révolu que chacun porte dans la mémoire de ses ancêtres (car toutes les traditions populaires ont un “air de famille”) – histoire d’un âge d’or ; • en même temps qu’une réflexion sur le mécanisme oedipien, sur les archétypes et leur expression contemporaine où survit, vive, la mémoire de tous les passés. • Plus profondément encore c’est le sens du Tragique qui est exploré sans concession ni sensiblerie, dans la lumière d’une oeuvre solaire.

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